L’organisation du travail, désormais plus horizontale et participative a eu pour conséquence évidente de modifier les critères de recrutement, en valorisant de plus en plus les compétences relatives au « savoir-être » dans l’entreprise. Que l’appréhension de ces compétences soit intuitive ou évaluée objectivement en entretien, les faits sont là : les « soft skills » ont pris une importance-clé dans la sélection des profils à l’embauche et dans les évolutions de carrière.
De la guerre des talents à la guerre des compétences
Là où le diplôme était roi, la compétence technique un étendard, la capacité à travailler en équipe, à s’adapter, la gestion du stress (le sien comme celui des autres), l’écoute, l’empathie, la prise de parole en public… et bien d’autres qualités personnelles, sont devenus des critères privilégiés pour les recruteurs. L’intelligence que certains qualifient de « situationnelle » est devenue la norme. Une tendance confirmé par l’étude menée par le cabinet de recrutement Robert Half.
sur 200 DRH interrogés, 52% accordent plus d’importance aux soft skills qu’aux hard skills. Une majorité qui n’est pas écrasante, mais qui redistribue les cartes tout de même.
Cela pourrait surprendre tant le domaine semble soumis à la technicité, mais l’application de plus en plus répandue des méthodes agiles fait évoluer les compétences des chefs de projets et scrum masters. Ces approches itératives et incrémentales, répétant des séquences de processus et d’analyse pour atteindre un objectif, sont à la fois collectives et finalement empiriques, donc humaines. L’UX design (l’expérience utilisateur) par exemple, dans sa nécessité de juger non seulement l’ergonomie, mais aussi et surtout le ressenti émotionnel de l’utilisateur, dépasse le domaine du pragmatique pour confiner à l’irrationnel, à l’instinctif. Un autre domaine, la cybersécurité, associe de l’intuition à la technicité pour anticiper les méthodes de hacking.
De manière générale, le développement de l’intelligence artificielle éloigne toujours plus le numérique du « mécanique », du calcul pur.
Ainsi, le logiciel Watson, développé par IBM, qui avait été champion du monde du jeu Jeopardy en 2011 a été désormais adapté pour être capable de délivrer des diagnostics médicaux. La pensée créative, humaine et intuitive est là aussi nécessaire pour faire avancer l’IA.
Cette tendance aux soft skills, doublée d’une pénurie de compétences techniques, pousse les entreprises à recruter des candidats qui disposent de compétences approchantes. Les entreprises ont de fait du mal à dénicher des profils qui présentent à la fois les qualités « soft » tant recherchées, et les compétences techniques requises pour le poste. Cela implique d’ouvrir les postes à une grande variété de profils. Charge ensuite à l’entreprise de mettre en place un parcours personnalisé, des formations sur-mesure pour combler le gap de compétences. En conséquence, les entreprises ne travaillent plus à mettre au point des offres de formation en considérant le poste occupé, mais en considérant la compétence qui fait défaut.
Cette nouvelle complexité du recrutement a orienté la compétition de la production vers le dispositif productif lui-même. Pour assurer sa compétitivité, s’affranchir autant que possible de cette tension sur le marché du recrutement, et de l’envolée des salaires, l’entreprise ne doit plus se contenter de chercher les bons éléments. Il lui faut acquérir la capacité à fabriquer elle-même les compétences dont elle a besoin, et savoir les anticiper. Cette capacité sera son arme la plus efficace dans cette nouvelle guerre, celle des compétences.
10 décembre 2018