Actualité et contexte
Ce début d’année a vu arriver l’adoption de la proposition de loi issue du nouvel Accord National Interprofessionnel sur la santé au travail.
Ces textes insistent sur la nécessité d’agir en prévention pour éviter les atteintes à la santé des travailleurs, ce qui reste une dynamique assez hétérogène aujourd’hui dans les entreprises.
Durant plusieurs années, les entreprises ont été incitées à parvenir à des accords convenant d’actions concrètes avec par exemple le plan national sur les Risques Psychosociaux (RPS) à la suite des suicides au sein de France Télécom avec obligation d’ouvrir des négociations sur la prévention du stress au travail sous peine de figurer sur une liste rouge ou encore l’obligation de résultats de l’employeur pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés (devenue depuis obligations de moyens).
Cependant ces obligations se sont transformées petit à petit en recommandations moins contraignantes, menant à une hétérogénéité des mesures prises en entreprise. Certaines entreprises ayant continué leur démarche de prévention, quand d’autres ont davantage opté pour des mesures tertiaires ; plus simples à mettre en place et nécessitant moins de moyens.
L’objectif de l’ANI est donc de se recentrer sur la promotion d’une prévention primaire opérationnelle et au plus proche des réalités du travail en faisant évoluer l’organisation du système de santé au travail et en articulant mieux les politiques de santé/sécurité au travail avec les démarches QVT menées en entreprise.
Les dimensions clés pour une prévention de la santé au travail
Deux dimensions sont décrites comme étant au cœur de la prévention au sein de cet ANI :
- la QVT, et plus précisément la Qualité de Vie et des Conditions de Travail qui a un impact en matière de santé et de maintien dans l’emploi, mais également en termes d’épanouissement des salariés et de performance des organisations. Les dimensions de cette QVCT incluent notamment l’articulation des sphères de vie (conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle, déconnexion numérique), les conditions d’exercice du travail (IRP, management, moyens, relations interpersonnelles et collectifs du travail), l’utilité et le sens du travail, les transformations rapides du travail (numérisation…), les modalités d’organisation du travail tel le télétravail et l’expression des salariés.
- la désinsertion professionnelle avec un focus sur le repérage précoce des situations pouvant conduire à une inaptitude du salarié afin de la prévenir et de mieux l’éviter.
Ces deux dimensions s’articulent l’une l’autre : les actions de QVCT permettent de prévenir la désinsertion professionnelle ; les actions des cellules de prévention de la désinsertion professionnelle, par l’analyse de ses causes, permettent d’alimenter les actions de prévention nécessaire à la QVCT.
Comment passer à l’action et développer une culture de prévention ?
L’ANI évoque un certain nombre de principes et d’actions afin d’opérationnaliser les principes cités.
L’un des leviers pour faire la différence est la prise en compte la réalité du travail qui implique l’écoute des salariés sur leur quotidien de travail. Comme les partenaires sociaux le rappellent « les salariés ont une connaissance précise de la manière dont est réalisé le travail et des éventuels problèmes rencontrés. Il est donc important de recueillir et de prendre en compte ces points de vue pour bâtir une politique de prévention qui identifiera les sujets-clés, les priorisera et permettra d’adopter des mesures comprises et acceptables par les salariés ».
C’est un préalable clé pour construire ensuite une politique de prévention ad-hoc sur les dimensions où l’organisation peut avoir un impact. En effet, comme précisé dans l’ANI, « L’obligation de prévention définie dans le Code du travail vise le risque professionnel inhérent à l’activité de l’entreprise et sur lequel elle doit avoir un contrôle »
Une politique de prévention réussie reposera à la fois sur une approche sur-mesure, répondant aux spécifiés propres à chaque organisation « L’accompagnement de l’entreprise dans sa démarche qualité de vie au travail permet d’éviter l’écueil d’une approche standardisée et plaquée sans plus-value pour l’entreprise et les salariés », et son ancrage dans les pratiques du quotidien, au-delà des points de passages ponctuels (baromètre, DUER,…), afin de développer une véritable culture de la prévention intégrée dans les pratiques managériales, les politiques RH, les transformations, etc.
Cela implique d’outiller les entreprises, et notamment les TPE-PME, par des apports méthodologiques et la formation des parties prenantes et de mobiliser et coordonner les différents acteurs de la prévention internes et externes à l’organisation (salariés, management, employeur, OS, SST, système de santé publique, branches professionnelles, …).
Les préconisations des partenaires sociaux et les éléments de la proposition de loi présentée à l’Assemblée Nationale
L’ANI indique un certain nombre d’actions précises qui pourront (ou devront) être constitutives de cette politique de prévention.
Ils rappellent dans un 1er temps un certain nombre de recommandations/obligations déjà existantes qui ne sont pas toujours mises en place :
- Présentation en CSE du programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (PAPRIPACT)
- Actualisation du DUERP
- Présentation en CSE du rapport annuel
- Négociation des accords sur la prévention, la santé au travail, la qualité de vie au travail et l’amélioration des conditions de travail
Et proposent des actions complémentaires, ou des améliorations de dispositifs existants, qui ont pour la plupart été repris dans la proposition de loi adoptée par l’Assemblée Nationale :
- La publication du DUER en version numérisée pour faciliter le suivi des évolutions d’année en année. Ce document devra rester accessible aux salariés 40 ans à minima, même après leur départ de l’entreprise
- En matière de formation, les salariés et les apprentis bénéficieront d’un « passeport prévention » regroupant les attestations, certificats en diplôme obtenus en SST. Par ailleurs, la durée de la formation des élus sur ces sujets sera allongée
- La création de cellules de Prévention de la Désinsertion Professionnelle (PDP) dont l’actions devra permettre à un niveau individuel d’identifier et de proposer des aménagements spécifiques aux collaborateurs le nécessitant, et à un niveau plus global de tirer des enseignements pour alimenter la politique de prévention des entreprises
- Un meilleur accompagnement des collaborateurs ayant connus un arrêt de longue durée (plus de 30 jours) : visite de pré-reprise dans certains cas, visite de reprise avec le médecin du travail, rendez-vous de liaison pour informer le salarié sur les possibilités d’aménagement (de poste, de temps de travail,…)
- Un entretien de mi-carrière à 45 ans (échéance pouvant être modifié par les branches professionnelles) orienté sur la prévention de la désinsertion professionnelle
- Et surtout plusieurs changements touchant les services de santé au travail, qui s’appelleront dorénavant des Services de prévention et de santé au travail. Ces services seront élargis à des professionnels aux compétences complémentaires (psychologues, assistants sociaux, kinésithérapeute,…), avec des infirmiers aux responsabilités renforcées et un recours possible à la médecine de ville et à des médecins correspondants pouvant avoir accès au dossier médical partagé. Ces services auront des prérogatives élargies en termes d’évaluation et de prévention des risques en entreprise et seront étendus à d’autres publics (indépendants, chef d’entreprise non-salariés,…).